Ateliers de philosophie de l'action & neurosciences à Strasbourg 1996

Publié le

CENTRE D'ANALYSE DES SAVOIRS CONTEMPORAINS

Palais Universitaire, salle Fustel de Coulanges, Strasbourg, 8h-20h

Atelier du 8 et Conférences du 9 février 1996

Institut Biomédical des Cordeliers,15 r. de l'Ecole de Médecine, Paris,14h-18h

"philosophie de l'action et neurosciences"

 

Alain Berthoz, professeur au Collège de France, dir. du Laboratoire de Physiologie de la Perception et de l'Action UMR CNRS .

le probleme des référentiels et celui de la cohérence dans la perception de l'espace et le controle du mouvement

La perception est un processus actif par lequel le cerveau projette des prédictions liées à l'intention de mouvement sur l'espace extérieur et compare l'état des capteurs avec les prédictions qu'il a formulées. "La vision est palpation par le regard" disait Merleau Ponty. La perception est donc essentiellement anticipation et interprétation des données sensibles en relation avec une action. Il est d'usage de proposer que la perception fonde ses évaluations sur des référentiels. Ceux qui ont été identifiés sont nombreux. La littérature de neurophysiologie et de psychologie distingue des référentiels égocentriques et allocentriques, un référentiel lié au corps propre dit "idiotropique", des référentiels liés aux objets, d'autres aux membres qui effectuent une tâche. Le codage d'un mouvement est considéré comme codé dans les structures du cortex soit en coordonnées spatiales (ou crâniotopiques), soit en coordonnées rétiniennes; mais on a aussi suggéré que le codage du mouvement est uniquement de caractère "vectoriel". Enfin, les informations sensorielles, comme par exemple le flux optique, sont codées selon des directions préférentielles qui sont celles des canaux du système vestibulaire. Cette multiplicité de référentiels remet en cause le concept unique d'un "schéma corporel" et est compatible avec une idée moderne de multiplicité de mécanismes fonctionnant en parallèle et articulés de façon dynamique. Se pose alors, de façon encore plus aiguë, le problème de la cohérence de l'ensemble. Si l'on doit abandonner l'idée d'un référentiel canonique, comment imaginer que la cohérence de la perception est organisée ? Cette question concerne aussi bien le neurophysiologiste que le roboticien qui veut réaliser la "fusion de capteurs", ou le psychiatre qui assiste à la désagrégation des représentations, ou enfin (last but not least) le philosophe qui se préoccupe de la théorie de la perception et de la théorie du sens.

Francis Lestienne, professeur à l'Université Nancy I, dir. du Laboratoire de Biologie et Physiologie du Comportement URA-CNRS .

Victor S. Gurfinkel, Académie des Sciences de Moscou.

le phénomene de post-contraction involontaire ("de kohnstamm") ou la difficulté de définir la frontiere entre le volontaire et l'involontaire

Après avoir été longtemps considéré comme une simple curiosité, comme l'ont été également les illusions visuelles, le principal intérêt du Phénomène de Post-Contraction Involontaire (PPCI) - dont la forme la plus saisissante est le surprenant mouvement "du bras qui se lève tout seul" consécutif à une contraction musculaire intense et soutenue - tient à ce qu'il nous place à la frontière, mal définie, du volontaire et de l'involontaire (Fessard & Tournay, 1950). C'est sur la base de travaux récents réalisés par notre groupe et en collaboration avec V. S. Gurfinkel que nous avons repris l'étude du PPCI en nous intéressant à la répercussion de ce phénomène sur le contrôle postural. Nos résultats suggèrent que la contraction volontaire et la post-contraction involontaire sont sous le contrôle d'une commande motrice de même nature et de même origine. Notre proposition est que le PPCI reflète l'opération de certaines structures "tonogéniques" associant les automatismes réflexes spinaux, les mécanismes générateurs de l'effort volontaire et les mécanismes perceptifs permettant le maintien et le changement de la posture. Ces structures seraient activées par un effort volontaire permettant l'émergence de mécanismes qui ne peuvent être classés ni dans le domaine de l'action volontaire stricto sensu, ni dans celui des automatismes réflexes. Ces mécanismes révéleraient l'existence d'une représentation mentale qui accompagne l'acte volontaire initial, une représentation "devant être capable de persistance dans le cortex (Salmon, 1916)".

A. Fessard, & A. Tournay, 1950, L'année psychologique, PUF, 50, p. 216-235.

Pierre Livet, Professeur à l'UFR de Philosophie, Université de Provence, Aix-Marseille, CREA.

Action intentionnelle, imagerie motrice et intention en cours d'action

La conception de la motricité de Jeannerod semble devoir appuyer une conception philosophique classique de l'action intentionnelle, parce qu'il insiste sur la centralité de la représentation motrice, comportant la représentation de l'objet visé, celle du but et celle de l'état final de l'organisme sous forme d'anticipation, et parce qu'il ouvre un accès expérimental à cette représentation centrale, en montrant que l'imagerie motrice mentale utilise les mêmes zones que la préparation motrice de l'action dont elle ne diffère que par l'inhibition du mouvement, et en soutenant le peu de pertinence de la différence entre l'inconscience du schéma moteur dans l'action et la conscience de l'imagerie motrice. Mais Jeannerod soutient aussi que cette représentation interne n'est pas donnée sous une forme "sémantique" (représentation d'un état du monde) mais sous une forme "pragmatique" (schémas moteurs hiérarchisés). Il semble soutenir une conception "conative" faisant de la volonté, plutôt que de l'intention consciente, le facteur déterminant. Sans aller jusque là, il est possible de montrer que sa conception est compatible avec une théorie de l'action qui semblait exclue par cette notion de représentation préalable, d'anticipation d'un but, une théorie selon laquelle but et intention effective de l'action ne se définissent qu'en cours d'action (théorie que je soutiens). L'intentionnalité de l'action peut y être construite comme processus de sélection évolutive ou d'apprentissage non dirigé, au lieu de devoir être présupposée au départ. Les représentations pragmatiques y seraient des représentations d'interactions entre, p. ex., l'espace d'opposition de la main et l'espace de préhension offert par l'objet (Arbib) et, par analogie avec les systèmes connexionnistes, des ensembles de corrections, d'ajustements, en particulier les contraintes, conditions négatives imposées par les limites du corps (Rosenbaum)... Si l'intention est simplement cet ensemble de corrections et d'ajustements contraints qui évolue constamment dans l'apprentissage perpétuel que constitue l'action effective, alors elle n'offre pas toujours assez de stabilité pour passer à la conscience. Au contraire, si la conscience consiste dans cette stabilité des patterns de mouvements, alors l'imagerie mentale, qui est coupée des interactions effectives et qui ne peut plus utiliser les schémas moteurs que sous leur forme stabilisée en mémoire à long terme, présente forcément ce type de stabilité lié à la conscience.

Miora Mugur-Schächter, professeur de mécanique quantique, Université de Reims.

temps relativisés versus infra ou supra-personnel

Une représentation radicalement relativisante des processus de conceptualisation (de génération de chaînes de sens) tirée de la mécanique quantique conduit à identifier une certaine structure remarquablement définie et complexe correspondant au mot "temps". Cette structure apparaît comme essentielle pour comprendre les modes de connexion entre l'infra et le supra-personnel.

Carlo Natali, professeur d'histoire de la philosophie antique, Université de Venise.

physique et dialectique dans le de motu animalium d'aristote

Une partie de la philosophie contemporaine a essayé de soustraire l'étude de l'action humaine au domaine des sciences physiques et de le réserver à la philosophie morale ou à la philosophie de l'action. Certains philosophes appartenant à cette tradition citent le nom d'Aristote comme prédécesseur de leur entreprise; mais chez Aristote on trouve la possibilité d'une double étude de l'action humaine, soit du point de vue physique soit du point de vue philosophique. Ces deux analyses ne restent pas séparées, mais s'influencent réciproquement. Une brève analyse du traité "Sur le mouvement des animaux" (De motu animalium) essayera de décrire cette interaction du niveau physique avec le niveau de l'interprétation.

Élisabeth Pacherie, chercheur au CNRS, Séminaire d'épistémologie comparative, Aix-en-Provence.

actions intentionnelles, métareprésentations et conscience de soi

Je m'appuierai sur des travaux récents en neurophysiologie de l'action sur la nature de l'imagerie et des intentions motrices et essaieraide démontrer qu'ils peuvent éclairer la nature de la relation entre l'action et le développement de la conscience de soi et des capacités métareprésentationnelles. Cela suggère des pistes d'explication pour certains dysfonctionnements survenant dans l'autisme. Je défendrai l'idée qu'être capable d'actions intentionnelles - autrement dit, d'actions qui font l'objet d'une planification préalable - est une condition nécessaire du développement de la conscience de soi et de capacités métareprésentationnelles. Plus précisément, l'échec d'un plan met en évidence la possibilité d'un écart entre le résultat de l'action tel qu'il est anticipé par l'agent et son résultat effectif. C'est l'expérience de tels échecs qui est à la base d'une première prise de conscience par l'agent du statut représentationnel de ses représentations d'actions et de son propre statut de possesseur de ces représentations.

Jean-Pierre Roll, professeur à l'Université de Provence, Laboratoire de Neurobiologie Humaine, URA-CNRS.

"Cinq sens...plus un". Ce que les muscles disent au cerveau

Notre perspective sera d'apporter quelques faits neurobiologiques attestant chez l'Homme un rôle fondateur ("constitutif") de la sensibilité proprioceptive à la fois pour l'intelligence du corps et pour la nécessaire cohésion des espaces corporel et extracorporel. Nous développerons, par ailleurs, l'idée que la sensibilité musculaire, celle de l'appareil moteur, est susceptible d'alimenter des fonctions mentales de niveau élevé, fonctions qui figurent clairement au répertoire des activités cognitives. Husserl, dans les Leçons de 1907, exprimait déja l'idée que sans le concours des systèmes kinesthésiques, "il n'y a pas là de corps, pas de chose".

Antoine Vergote, professeur émérite à la Katholicke Universiteit Leuven, Onderzoekscentrum voor  Dieptepsychologie.

le corps vécu de la phénoménologie et le corps psychique de la psychanalyse

L'observation, l'écoute et les interprétations cliniques font apparaître un corps psychique (Leib) intermédiaire entre le corps organique et les activités intentionnelles. Les phénomènes cliniques les plus "parlants" sont des cécités, des paralysies, des douleurs localisées, physiologiquement inexplicables, des plaies qui reproduisent celles de Jésus-Christ crucifié, etc. Lors de leur thérapie interprétative ces faits se révèlent inconsciemment symboliques et font donc partie de "l'image du corps" non mentalement représentée. Au corps vécu de la phénoménologie - modalités de la perception, du sentir, du rythme et de l'organisation de l'espace -  la psychanalyse ajoute l'idée du corps se constituant par l'histoire singulière d'expériences de plaisir et de déplaisir. Pour en rendre compte, il faut mettre à l'origine le corps pulsionnel habité par un pré-ego diffus dans lequel s'intériorisent ces expériences. Comme le fait apparaître la technique freudienne de la libre association animée par une attention "également flottante", les expériences pulsionnelles s'inscrivent dans le corps psychique selon des lois associatives qui ne sont pas celles de l'articulation linguistique. Cette observation correspond à la "constitution passive" décrite par Husserl. Le terme, choquant pour beaucoup, de causalité psychique se justifie. L'entrée dans le langage confère valeur symbolique à ces premières constitutions. L'ego, comme identité consciente et intentionnelle, lieu du langage, se constitue dans le corps pulsionnel, par le réfléchissement libidinal du pré-ego sur lui-même, en réponse aux messages venus du dehors. Pour que le langage soit intentionnellement opérant et pour que l'ego ait son identité, il faut que la vie intentionnelle puisse s'adosser au corps libidinalement constitué; la schizophrénie s'installe si les représentations verbales ne s'enracinent pas dans des "représentations-choses" des objets.


CENTRE D'ANALYSE DES SAVOIRS CONTEMPORAINS

Strasbourg, Université Louis Pasteur, Institut LeBel, s. des Conseils, 8h-20h

Atelier 4 avril 1996 / 5 avril Conférences

Paris, Institut Biomédical des Cordeliers,15 r. de l'Ecole de Médecine,14h-18h

"philosophie de l'action et neurosciences"

Bernard Bioulac, professeur à l'Université de Bordeaux II, directeur du Laboratoire de Neurophysiologie UMR CNRS  5543.

Aspects fonctionnels des territoires néocorticaux primaires et associatifs à compétence motrice dans le controle du mouvement

Depuis les travaux princeps de Evarts (1961-1967), chez le singe opérant, une approche qualifiable de "dure" s'est faite en matière de codage des informations à compétence exécutoire au niveau des aires motrices (aires 4, 6 et aire motrice supplémentaire). L'essentiel était d'établir un lien entre le message précessif au début du mouvement et des paramètres statiques et cinétiques comme : position du membre, durée et amplitude du déplacement, vitesse, accélération et décélération du mouvement. Plus récemment d'autres auteurs (Mountcastle, 1978; Georgopoulos, 1992; Goldman-Rakic, 1993) ont porté leur intérêt sur les structures néocorticales plus jeunes dans la phylogénèse : le cortex pariétal associatif (aires 5 et 7) et le cortex préfrontal (aires 9, 10, 11, 12). L'analyse neuronale, à ce niveau, requiert des paradigmes expérimentaux qui impliquent processus de commande et motivation, attention sélective et mémoire de travail. L'étude différentielle du fonctionnement de ces cortex primaires et associatifs, ou plus exactement de certains de leurs graphes neuronaux, éclaire sur la complexification de tâches opérées par les cellules nerveuses situées "en amont" des neurones localisés dans les aires motrices "de sortie".

Pierre Montebello, professeur de Philosophie, Université de Toulouse Le Mirail.

une individuation de la connaissance psycho-physique

C'est un fait pour Biran comme pour Simondon que le dualisme ne rend pas compte du rapport psycho-physique. L'expérience aperceptive où s'unissent conscience et corps propre ne se laisse pas si facilement couper en deux par l'objectivation et l'analyse. Comment envisager alors le dialogue entre science et conscience? Nous voudrions examiner ici l'idée (partagée par Biran et Simondon) d'une individuation de la connaissance. La carence du schéma hylémorphique (et par suite du dualisme substantialiste) réside principalement dans son inaptitude à rendre compte d'une individuation en cours, d'une ontogenèse active. Dans un tel cadre la dérivation des facultés intellectuelles à partir de la dualité qu'on appellera faute de mieux "esprit-corps" est incompréhensible. Ces facultés sont toujours déjà formées (innéisme, logicisme, auto-donation originaire) et ne supposent aucune action volontaire du sujet, aucune individuation active. Biran et Simondon proposent une autre voie d'analyse qui a le mérite de ne pas trancher l'homme en deux et de renouveler l'approche du problème psycho-physique en n'excluant ni la sphère aperceptive ni l'explication scientifique.

Marc Neuberg, docteur en Philosophie de l'Université de Louvain-la-Neuve.

en quel sens les explications d'action sont-elles causales ?

D'après la théorie causale de l'action, expliquer un acte par une raison d'agir, c'est l'expliquer par sa cause, cette cause ayant la particularité de justifier rationnellement son effet. Cette théorie peut à première vue se prévaloir d'un accord avec le discours commun de l'action, dans la mesure où ce dernier comporte indéniablement une charge causale, les raisons d'agir y étant comprises comme "ce qui fait agir" la personne. On entend montrer que cet accord est factice. L'élément causal du discours commun de l'action ne l'est pour ainsi dire que par métaphore : l'énoncé disant qu'un acte a été "causé" par telle raison d'agir se place au même niveau métaphorique que celui disant que telle raison d'agir a "incliné" ou "fait pencher" l'agent vers tel choix. C'est à ce sens métaphorique de la causalité intentionnelle que se réfère l'attribution de l'action et l'imputation de la responsabilité. La théorie causale, en interprétant l'explication de l'action sur le modèle de l'explication des événements naturels, pratique en fait une surrationalisation du discours commun aux conséquences hautement paradoxales.

Jean Petitot, professeur à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, CREA UMR CNRS C0017.

Perception par esquisses et théorie des singularités

Husserl a analysé en détail dans sa théorie de la perception par esquisses la façon dont l'identité noématique d'un objet perçu est corrélative du flux temporel réglé de l'infinité de ses esquisses (de ses aspects). De très nombreux problèmes phénoménologiques sont associés à cette corrélation. L'incomplétude des esquisses implique une inadéquation d'essence de la donation perceptive. Le fait que leur flux temporel soit réglé implique un horizon de co-donation d'esquisses et une possibilité d'anticipations perceptives, anticipations qui engendrent la transcendance externe de l'objet perçu. Husserl trouve ainsi dans la structure de la perception par esquisses l'origine de l'intentionnalité comme fondation des transcendances objectives dans l'immanence des actes y donnant accès. Nous nous proposons de mathématiser (et donc de justifier et de naturaliser) la part de la description éidétique husserlienne qui concerne le problème essentiel des contours apparents. Pour ce faire nous utiliserons les outils géométriques de la théorie des singularités et de ce que l'on appelle les graphes d'aspects.

Jean-Michel Roy, professeur de Philosophie, Université de Bordeaux III

Neurophénoménologie et phénoménologie spontanée des neurobiologistes

Le vieux problème du rapport entre les sciences mentalistes et ce que l'on appelle désormais les neurosciences se trouve aujourd'hui dominé par le point de vue de la naturalisation. Le projet d'une naturalisation des sciences mentalistes est pour l'essentiel de faire apparaître que celles-ci sont des sciences 1°) du même type épistémologique et 2°) du même domaine ontologique que les neurosciences, tout en demeurant distinctes d'elles et en possédant une légitimité propre. Une telle naturalisation peut prendre différentes formes; les plus connues sont le réductionnisme et le fonctionnalisme, dont il existe également de nombreuses espèces. Dans ce cadre général s'est récemment développé un courant de recherche qui a pour particularité de tenter de développer une naturalisation du mentalisme phénoménologique de type husserlien. Or la spécificité d'un tel mentalisme consiste en ce que non seulement il n'est pas naturaliste - auquel cas il serait par définition inutile d'en entreprendre la naturalisation - mais qu'il est en outre anti-naturaliste, et ce au double sens épistémologique et ontologique évoqué plus haut. C'est sur la légitimité et la possibilité de cette forme spécifique de l'entreprise naturalisatrice - dont je suis moi-même sympathisant -  que je souhaite m'interroger, en m'appuyant sur différents travaux qui ont été proposés dans ce sens (Pachoud, Petitot, Petit, Varela,...) et en concentrant mon attention sur la question de la théorie de l'action. Je me propose d'examiner en particulier les résistances spécifiques qu'oppose le caractère fondamentalement antinaturalisateur du mentalisme husserlien à son détournement naturaliste, et dont l'importance ne me paraît pas encore suffisamment appréciée.

Jean Schneider, chercheur  au CNRS, Observatoire de Paris.

projet d'une psychologie quantique

Dans la mesure où le corps est aussi un objet matériel défini comme objet d'étude par les méthodes de la science physique, le problème des rapports corps-esprit est plus fondamentalement celui des rapports matière-esprit. La physique a introduit avec la mécanique quantique l'idée que les "propriétés" d'un objet (fût-ce une synapse) ne sont pas des attributs "en soi", ce qui a conduit dès les années 30 à suggérer qu'elles sont une création de "la conscience de l'observateur". Etant donné qu'il y a modification du système par l'acte, réputé subjectif, de mesure, on est bien dans le contexte de l'action. Cette suggestion a été la source d'un intense débat, aujourd'hui plus vif que jamais. Comme il y a là l'amorce d'un intéressant lien possible entre matière et esprit, je me propose, sans me prononcer sur la justesse de ce point de vue, d'en tirer les conséquences. Après avoir brièvement exposé le problème posé par l'observation quantique, je proposerai une formulation de" l'acte de mesure quantique en termes d'actes de langage (au sens généralisé "d'actes de symboles"). Comme une réflexion sur le symbole ne peut faire l'économie d'une réflexion sur la temporalité, je mentionnerai au passage comment on peut en donner une formalisation et les conséquences que celle-ci induit dans le présent débat. A partir de là, rien n'interdit une généralisation des symboles, en particulier dans le domaine de l'affect, pour proposer une hypothèse répondant à la question : "comment une représentation peut-elle changer l'état du corps ?"

Bibliographie : The Now, Relativity Theory and Quantum Mechanics, in Now, Time and Quantum Mechanics, éds M. Bitbol, E. Ruhnau, Eds Frontières, Gif sur Yvette; La non-stratification, in La Réforme de l'Entendement, éd. R. Lew, Eds Lysimaque.

Jean-Louis Vieillard Baron, professeur de Philosophie, Université de Poitiers, dir du CRDHM, URA-CNRS 1081

Corps-qualité et corps-quantité selon Bergson

La conception bergsonienne du corps est le préalable nécessaire à la démonstration, sur le cas précis de la mémoire, de la réalité de l'esprit. On ne peut comprendre les états mixtes que nous vivons, qui sont, à chaque fois, une synthèse neuve d'esprit et de matière, qu'en partant de la différence de nature entre l'esprit, tendance à la spéculation pure, et passé intégral et impuissant, et le corps, tendance à l'automatisme immédiat, transmetteur de mouvement. Or l'action consciente de l'homme est précisément le lieu où se rencontrent ces deux tendances divergentes. C'est l'action consciente qui définit l'attention à la vie, attention que perdrait aussi bien une mémoire enfouie dans le passé, qu'un corps réduit au présent sensori-moteur. On appellera corps-quantité le corps dont la mémoire se réduit à la somme des apprentissages de mouvements; c'est le corps réduit au présent sensori-moteur. Mais le corps-qualité est le corps propre imprégné de passé, le corps dans lequel la mémoire; la perception ne peut pas s'expliquer comme le résultat d'un état cérébral, pas plus que la mémoire elle-même. L'argumentation de Bergson pour montrer la réalité de l'esprit comme différente du cerveau est à double niveau. Au niveau empirique, il s'agit d'un argument négatif, à savoir que les données expérimentales ne permettent pas d'expliquer la mémoire personnelle et vraie, y compris dans l'action et la perception. L'argument positif est, quant à lui, métaphysique; on peut dégager des données expérimentales la nécessité de faire intervenir le passé en tant que réalité spirituelle pour comprendre la conscience humaine, dont la finalité biologique est d'être orientée vers l'action.

Daniel Widlöcher, professeur à l'Université Pierre et Marie Curie, médecin du Groupe Hospitalier Pitié Salpêtrière

Représentation de l'action dans les états schizophréniques

L'étude de la représentation des actions complexes soulève des difficultés méthodologiques. Celles-ci peuvent, certes, être contournées par une simple extrapolation à partir de l'étude des gestes moteurs simples. A propos de la notion de copie d'efférence, on discutera le bien-fondé de cette extrapolation. La référence à la pathologie peut permettre de progresser par une approche directe d'anomalies touchant la représentation de ces actions complexes. Les données recueillies auprès de certains sujets présentant des troubles schizophréniques permettent d'illustrer cette démarche. Après avoir rapporté les arguments en faveur d'un trouble de la planification de l'action dans les états schizophréniques, on montrera certaines données qui laissent à penser qu'un déficit dans l'exploitation des informations sur l'action en cours joue un rôle dans ces difficultés de planification. Si cette hypothèse se vérifie, il conviendrait toutefois de se demander quelles sont les origines de ce déficit. Tiennent-elles à une difficulté à exploiter les données provenant d'indicateurs externes ou d'indicateurs internes ? Quel rôle accorder au traitement du contexte ? Quels effets sur l'attribution des intentions pour les actions d'autrui ? Autant de questions pour lesquelles certaines données expérimentales nous apportent quelque lumière.


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