Cours Nature et culture

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Histoire des concepts

Nature et culture – I. Introduction :

1. À une époque déjà lointaine, le conflit des interprétations dans les sciences humaines demandait l'arbitrage de la faculté de juger du sujet.  "Conflit des interprétations", "arbitrage du sujet" : ces termes renvoient l’un à l’autre et leur réciprocité est typique d’une époque dont il nous faut d’abord prendre conscience qu’elle est datée, et probablement révolue. La révélation de l’existence d’une pluralité d’interprétations ne pouvait venir des disciplines particulières de sciences humaines en raison même de leur clôture disciplinaire. Les "œillères de la méthode" d’une discipline ont, en particulier, pour fonction de dissimuler à cette discipline qu’elle n’est qu’une interprétation parmi d’autres également possibles. En revanche, l’extraterritorialité épistémologique du philosophe lui conférait une position arbitrale, position non dominante, mais pas moins nécessaire. Du conflit entre les sciences humaines comprises comme interprétations et du fait qu’elles sont incapables de résoudre ce conflit à leur propre niveau découlait la légitimité de l’intervention du philosophe. Celui-ci n’était pas convoqué comme représentant d’une autre science humaine disposant d’un champ d’objets spécifique et introduisant une nouvelle interprétation à côté des autres. C’est au contraire en tant que simple sujet de la réflexion qu’il était requis, une réflexion enracinée toutefois dans la vie quotidienne et nourrie de la tradition occidentale.

2. L’œuvre de Paul Ricœur est exemplaire de cette situation épistémologique du philosophe par rapport aux sciences humaines. Sans doute Ricœur a-t-il fermement rejeté l’image de "philosophe du sujet" en se réclamant de disciplines philosophiques : phénoménologie, puis herméneutique. Mais ces disciplines n’en sont pas dans le même sens que la psychologie psychanalytique, la linguistique structurale, ou l’histoire événementielle. On peut rester phénoménologue ou herméneute en investissant tour à tour les domaines de l’inconscient pulsionnel, de la fiction littéraire ou de l’histoire narrative. En tant qu’approches systématiques de l’expérience vécue et des significations exprimables, ces disciplines chevauchent les frontières disciplinaires. Elles se tiennent sur le sol primordial du vivre et du faire sens de l’homme, tandis que les sciences humaines veulent seulement appréhender des structures intelligibles au plan de la représentation théorique.

1965 : De l’interprétation. Essai sur Freud.

1975 : La Métaphore vive.

1983-1985 : Temps et Récit.     

3. Entre les choses de la nature et les formations institutionnelles de la culture, y a-t-il continuité ou rupture : une telle question faisait débat. Voir le dialogue Changeux – Ricœur (Ce qui nous fait penser. La nature et la règle, 1998). Ce n’est désormais plus le cas, semble-t-il. Aujourd'hui, le naturalisme triomphant accrédite l'idée qu'en ce domaine comme ailleurs la question est purement méthodologique : il suffira de trouver et d'appliquer les méthodes adéquates pour remplir un programme scientifique prédéfini prenant place dans l’ensemble de la recherche empirique. Ce programme est présenté comme une évidence. Une certaine idée de Nature étant présupposée, le tout serait d'y intégrer convenablement les formations culturelles. Au lieu de réfléchir plus longtemps à la possibilité d'une transition continue entre nature et culture, en accréditant du même coup l’éventualité d’un fossé infranchissable entre les deux termes, on préfère engranger les résultats à l'appui de l'hypothèse continuiste. La découverte de "bases naturelles" du langage, de la culture, de l'économie, de l'éthique, de l'esthétique, de la politique, etc. est régulièrement annoncée en psychologie animale, psychologie du développement ou neurosciences. Sous la nouvelle étiquette "sciences cognitives", les disciplines autrefois intitulées sciences humaines se sont regroupées avec des disciplines antérieurement classées dans les sciences de la nature : psychologie, physiologie, neuroscience, biologie, voire même physique. L’ancienne revendication d’autonomie de chacune des sciences humaines, qu’on pouvait croire la survivance d’un dualisme nature – culture, esprit – matière ou sens – énergie, etc. a trouvé autrement sa satisfaction dans le fait de contribuer sur un pied d’égalité entre disciplines à une science intégrative de la cognition. L’anti-naturalisme (anti-biologisme, anti-psychologisme) du structuralisme n’aura finalement été qu’un intermède sans lendemain :

4. Claude Lévi-Strauss (1947) Les Structures élémentaires de la parenté  n’aura finalement pas dissuadé la communauté des anthropologues d’en revenir au continuisme primates – hommes  de B. Malinowski (1927 Sex and Repression in Savage Society): « C’est, en effet, qu’il y a un cercle vicieux à chercher dans la nature l’origine de règles institutionnelles qui supposent – bien plus, qui sont déjà – la culture, et dont l’instauration au sein d’un groupe peut difficilement se concevoir sans l’intervention du langage. La constance et la régularité existent, à vrai dire, aussi bien dans la nature que dans la culture. Mais, au sein de la première, elles apparaissent précisément dans le domaine où, dans la seconde, elles se manifestent le plus faiblement, et inversement. Dans un cas, c’est le domaine de l’hérédité biologique, dans l’autre celui de la tradition externe. On ne saurait demander à une illusoire continuité entre les deux ordres de rendre compte des points par lesquels ils s’opposent (p. 9). »

5. Noam Chomsky (1980) in Rules and Representations, n’aura pas réussi à garder à la théorie linguistique un caractère abstrait, c-à-d. non mélangé de considérations sur les neurones, devant la montée en puissance d’une neuroscience du langage : « Or let us really let down the bars of imagination and suppose that someone were to discover a certain pattern of electrical activity in the brain that correlated in clear cases with the presence of wh-clauses : relative clauses and wh-questions. Suppose that this pattern of electrical activity is observed when a person speaks or understands ‘Violins are easy to play sonatas on’. Would we now have evidence for the psychological reality of the postulated mental representations? We would now have a new kind of evidence, but I see no merit to the contention that this new evidence bears on psychological reality whereas the old evidence only relates to hypothetical constructions […] In the real world of actual research on language, it would be fair to say that principles based on evidence derived from informant judgment have proved to be deeper and more revealing than those based on evidence derived from experiments on processing and the like, although the future may be different in this regard (p. 200). »

6. Dans ce contexte d'empirisme aréfléxif, il peut paraître incongru de s'interroger sur la possibilité et la légitimité d'une naturalisation du culturel : que cette question apparaisse intempestive est peut-être le signe qu'il y a urgence philosophique à la soulever avant que notre faculté de nous étonner à ce propos ne se soit évanouie tout à fait. En empruntant la voie tracée par Alfred Schutz (Phenomenology and the social sciences, in The Problem of Social Reality 1962) nous pourrions commencer par remettre en vigueur la critique de la substruction mathématique de la nature par la science moderne de Galilée dans la Krisis de Husserl en appliquant cette critique aux sciences humaines naturalisées comme sciences cognitives. Les formations du monde de l’expérience intersubjective sont en proie à une entreprise de naturalisation par substruction mathématisante qui s’exerce à la fois au plan global des grands phénomènes collectifs et au plan local des microprocessus à la base de la ‘cognition sociale’ dans le cerveau de l’individu. Ici et là le concret existentiel est remplacé par une courbe de fréquence statistique, le sens par le nombre. De la même façon, Galilée avait remplacé le monde qualitatif de l’expérience des formes approximatives et mouvements produits ou perçus par des formes géométriques pures et des rapports numériques tout en restant aveugle à sa propre opération d’idéalisation par passage à la limite qui rendait une telle substitution d’abord possible.

7. Un exemple de la constitution d’un phénomène ‘naturel’ – hybride de culture et de nature – par substruction aux événements sociaux d’une loi de corrélation statistique. La loi en question est la ‘loi de puissance’ (power law) ou ‘loi de Zipf’ ou ‘loi d’invariance d’échelle’. Sa représentation graphique diffère de celle de la distribution normale par une courbe en cloche (de Gauss) par le fait que sa décroissance par rapport au pic central est plus graduelle, de sorte que sa courbe représentative sera plus épaisse aux extrémités (fat tail). Sa formule („Und wieder ist es verständlich, daß man dazu verführt wurde, in diesen Formeln und ihrem Formelsinn das wahre Sein der Natur selbst zu fassen“ Krisis § 9.f): p(x) = x -a, où ‘x’ représente un événement élémentaire, ‘a’ son échelle de grandeur et ‘p(x)’ une distribution de probabilité sur l’ensemble W des événements élémentaires, telle que p³ 0 et p+ … + pn = 1. Une telle loi dit que la grandeur d’un événement est inversement proportionnelle à la fréquence de cet événement, ce qui implique que seront fréquents les événements infimes, rares les événements importants.

8. Intuitivement, chacun conviendra qu’il n’y a aucun lien entre les attentats suicides à Bagdad ou à Kaboul et, par exemple, le séisme à Haïti du 12 Janvier 2010. Pourtant, une littérature de sciences sociales est en train de se développer, qui prend au sérieux l’existence de corrélations exprimables par une loi de puissance et qui l’explique par des mécanismes communs à tous les événements qu’on peut qualifier de ‘violents’, que ce soient des événements sociaux comme les guerres civiles ou les attentats terroristes ou des événements de la nature comme les séismes. Étayées par ces pseudo-explications causales, les invariances statistiques observées perdent leur caractère fortuit, au point qu’elles servent de caution à une prétention inédite de prédiction en sciences sociales.

Ex 1 : Patrick Meier de Boston et Ryan Woodard de Cambridge (UK) croient pouvoir dégager un aspect par lequel les guerres sont prédictibles : leur ‘intensité’, c-à-d. le nombre des victimes de chaque conflit est inversement proportionnel à leur fréquence. Ce qui accrédite l’analogie physique avec les séismes : de nombreuses petites secousses sans gravité pour un séisme catastrophique de magnitude 7. Ils idéalisent un système d’alerte précoce sur les conflits imminents (Concerning critical correlations in conflict, cooperation and casualties, 2006).

Ex 2 : May Lim, Richard Metzler et Yaneer Bar-Yam, du MIT expliquent les explosions de violence interethnique (en ex-Yougoslavie ou en Inde) par un défaut transitoire de définition des frontières territoriales entre les groupes ethniques au cours de leur processus d’intégration et de séparation. Ils pensent pouvoir prédire la localisation géographique de ces explosions (Sarajevo, Cachemire) en s’appuyant sur les contraintes spatiales de l’organisation des populations multiethniques considérées comme systèmes dynamiques sur le modèle des systèmes physiques ou chimiques à séparation de phases. Eux aussi envisagent une application pratique à la prévention des conflits par un dosage convenable de mixité et de ségrégation dans l’habitat (Global pattern formation and ethnic/cultural violence, Science 2007).

Ex 3 : J.C. Bohorquez (Bogota), S. Gourley (Miami), A.R. Dixon (Cambridge UK), M. Spagat (Londres) et N.F. Johnson (Miami) viennent de publier dans Nature (2009 Common ecology quantifies human insurgency) un article établissant que les guerres insurrectionnelles au XXe s. et ‘la guerre contre le terrorisme’ obéissent à une loi de puissance telle que les attaques sont d’autant plus meurtrières qu’elles sont moins fréquentes. La généralité de ce caractère explosif (bursty) malgré la différence des contextes résulterait de la dynamique de la formation des groupes d’insurgés et des contraintes de la diffusion médiatique des attaques. Leur modèle mathématique est censé permettre la prédiction de la ‘force’ d’un groupe d’insurgés, c-à-d. sa capacité d’infliger des pertes en vies humaines lors d’une attaque terroriste. Toutefois ils se contentent de souligner la bonne correspondance entre les prédictions sur la base du modèle et les statistiques officielles des morts violentes sans évoquer d’applications concrètes. Cela n’empêche pas les journalistes scientifiques de signaler l’article sous des titres provocants : ‘Modellers claim wars are predictable’ (Nature), ‘Power Law Explains Insurgent Violence’ (Science).

9. Critique („Alle Besinnung aus „existenziellen“ Gründen ist natürlich kritisch“ Krisis § 9.l) : – La classe des événements ‘violents’, surtout si elle inclut implicitement tout ce qui présente un caractère soudain et destructif y compris hors du champ de l’action humaine (séisme, éruption volcanique, avalanche) ne constitue pas une classe naturelle, autrement dit n’est pas un ‘type’ appartenant à la typique habituelle du Lebenswelt. Elle reste un artefact de la spéculation sur les mécanismes hypothétiques sous-jacents aux phénomènes. La substruction d’un tel mécanisme causal à l’expérience intersubjective répond surtout à une volonté d’ignorer la dimension intentionnelle des événements sociaux ou de les ramener à des circonstances locales contingentes. Le fait qu’une attaque terroriste est avant tout comprise comme telle par ceux qui la perpètrent comme par ceux qui la subissent est supposé ne pas entrer dans la définition de l’événement, en dépit du fait que c’est ce qui distingue l’événement social comme action intentionnelle de l’événement naturel comme effet mécanique. On a affaire à une science sociale qui se naturalise au prix de l’oubli de ses engagements envers la dimension intentionnelle de l’action humaine. Cela dit, il serait prématuré et imprudent d’écarter l’éventualité qu’une forme éidétique moins surdéterminée par le physicalisme se révèle adéquate à la capture formelle des événements issus d’agents intentionnels par opposition aux événements découlant de causalités mécaniques. En tout cas, nous sommes contraints de laisser cette possibilité ouverte si nous ne voulons pas nous replier sur un dualisme qu’on accusera à juste titre de vouloir soustraire à la nature un monde de pure intentionnalité.    

10. Bibliographie :

W. Dilthey :

      Le Monde de l'Esprit, t. I, Aubier - Montaigne, Paris, 1947.

J.-L. Petit (éd.):

      Les Neurosciences et la Philosophie de l'Action, J. Vrin, Paris, 1997.

J.-L. Petit (éd.):

      Repenser le corps, l'action et la cognition avec les neurosciences, Intellectica n°36-37, 2003.

P. Ricœur :

      Le Conflit des Interprétations. Essais d'herméneutique I, Seuil, Paris, 1969.

P. Ricœur :

      Du Texte à l'Action. Essais d'herméneutique II, Seuil, Paris, 1986.

P. Ricœur :

      Ce qui nous fait penser la Nature et la Règle. Seuil, Paris, 1998.

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Nature et culture II – La naturalisation du culturel : Le langage et la typique du Lebenswelt.

1. L’application de la phénoménologie aux sciences humaines (ou sciences cognitives) peut à première vue nous sembler devoir être surtout de caractère critique. Critique au sens où il est de tradition en philosophie (à la suite de Kant) que le philosophe rappelle aux sciences positives les limites qui sont les leurs, mais que ces sciences ont tendance à ignorer.

2. Ex. la réalité du monde social est constituée de ‘formations de sens’ : une institution, un objet culturel, une cérémonie, etc., entités qui n’existent que par le sens qu’elles ont pour les sujets qui y participent ou qui en font usage. Toute forme d’approche théorique qui prétendrait ignorer la relativité subjective inscrite dans l’être même d’un monde social comportant de telles formations de sens devra être dénoncée. Une phénoménologie de l’expérience intersubjective soulignera l’insuffisance d’une science sociale qui se voudrait pure ‘physique du social’. La possibilité d’une ‘sociologie intentionnelle’ sera alors éventuellement évoquée, mais plutôt comme palliatif que comme une contre-proposition sérieuse.

3. Toutefois, cette dimension de relativité subjective (ou intersubjective) du social n’est pas un interdit arbitrairement posé aux prétentions des sciences positives. Dire que c’est une propriété non objective est insuffisant pour la caractériser. Alfred Schutz (The Problem of social Reality, 1962) suggère que la constitution d’une pensée commune anonyme faite de généralisations typiques a rendu possible pour chacun la sortie de son monde privé et l’interchangeabilité du point de vue propre avec celui des autres au sein du groupe.

4. Pour Husserl (Die Lebenswelt, 2008) l’organisation typique du monde de la vie quotidienne fait que chaque sujet d’expérience au lieu d’être enfermé dans son présent de conscience instantané (Hume) projette sans cesse des anticipations vides sur le futur et des rétrospections vers le passé. L’intropathie étend cette typicité de l’expérience propre à l’expérience d’autrui (Zur Phänomenologie der Intersubjektivität, 1973). Une entité quelconque entrant dans notre expérience aura pour nous un sens dans la mesure où elle correspondra à un type sous lequel nous l’appréhendons.

5. La possibilité d’une science naturelle du monde social comme monde de constitution intersubjective est dès lors suspendue à la comparaison entre les concepts de cette science et la typique du Lebenswelt. Dans la Krisis (§ 9) Husserl a surtout insisté sur le contraste entre l’exactitude idéale des concepts quantitatifs de la science de la nature inaugurée par Galilée et le caractère anexact des types quotidiens.

6. Wittgenstein porte la question sur le terrain logique. Pour Frege (Funktion und Begriff, 1891) en mathématiques comme dans la pensée naturelle les concepts sont des fonctions de vérité à argument unique prenant valeur sur les objets du monde. Les lois de la logique imposent aux concepts une exigence de stricte délimitation (scharfe Begrenzung) de l’ensemble des objets tombant sous eux. À l’importune rigidité de la clôture ensembliste du concept frégéen Wittgenstein (Philosophische Untersuchungen, 1958, § 65) oppose l’utilité pragmatique du flou des ‘ressemblances de famille’ (n’impliquant pas la possession de propriétés communes) entre les ‘jeux de langage’ c-à-d. les ensembles d’expressions linguistiques et d’usages pratiques de la vie quotidienne.

7. La physique (classique) est la science d’un monde de quantités complètement déterminées en soi. Le monde intersubjectif des typicités habituelles peut-il être objet de science ? Deux approches doivent être distinguées.

8. D’après Horace Barlow (The role of single neurons in the psychology of perception, 1985) les objets de l’environnement sont d’abord des patterns du champ visuel ; les neurones sont des détecteurs de patterns ; les informations des neurones périphériques sont progressivement combinées par des neurones centraux ; au sommet de la hiérarchie il doit y avoir pour chaque concept de notre expérience un neurone cardinal qui concentre l’information cognitive sur l’objet du monde correspondant (la ‘cellule grand-mère’).

9. La découverte dans le cortex temporal du singe de ‘neurones de visages’ qui réagissent différemment à la présentation du visage de deux individus apporte une certaine validation empirique à cette hypothèse (D. Perrett et al., Human Neurobiology 1985).  Cette conception linéaire et hiérarchique suppose un classement exhaustif des objets du monde et l’organisation des classes par inclusion ou intersection. Elle suppose aussi que les neurones ont uniquement des connexions locales et fixes.

10. La nouvelle ‘neuroscience du langage’ (F. Pulvermüller, The Neuroscience of Language 2002) rendrait mieux compte de la typicité sémantique des mots. L’imagerie cérébrale fonctionnelle montre que la topographie des activations du métabolisme cérébral n’est pas la même quand on demande aux sujets de produire des mots de type sémantique différent : les noms d’animaux connus d’après des images visuelles (‘baleine’, ‘requin’) activent les aires occipitales ; les noms d’outils (‘clou’, ‘fourchette’) activent les aires prémotrices. L’hypothèse est que chaque mot a pour engramme un réseau fonctionnel associant des ensembles de neurones en intersection mutuelle mais largement distribués sur le cortex. L’activation différentielle des ensembles de neurones impliqués dans le réseau dépend de connexions inhibitrices du cortex avec les noyaux sous-corticaux (ganglions de la base).

11. Ce modèle de ‘codage dispersé’ rendrait compte de la capacité du locuteur de distinguer les homonymes (mots de même forme mais de signification différente : ‘plane’ = ‘aircraft’ ou ‘flat surface’) des synonymes (mots de même signification mais de forme différente : ‘car’ et ‘automobile’). Les homonymes activent les neurones des aires périsylviennes de l’articulation et de l’audition des mots dans l’hémisphère gauche, tandis que les synonymes activent les aires des deux hémisphères dédiées aux catégories sémantiques respectives. Des ensembles de neurones en inclusion mutuelle sous-tendent les mots aux significations hiérarchisées : ‘animal’, ‘chien’, ‘lévrier’ (Husserl). Les mots à ressemblance de famille mais sans noyau sémantique commun se partagent quelques neurones du réseau à l’exception de la partie commune aux mots plus typiques de la même famille : ‘truite’, ‘saumon’, ‘requin’ – mais aussi ‘méduse’ ou ‘pieuvre’ (Wittgenstein).  La décision : synonyme ou homonyme ? dépendra d’une compétition pour l’activation des ensembles neuronaux en réseau fonctionnel, et de sa régulation par le poids des connexions, fonction de la fréquence d’usage du mot. 

12. Si les exigences de fidélité au Lebenswelt promues par la phénoménologie ne sauraient être satisfaites par une physique du social, est-ce qu’il est envisageable qu’une neuroscience du langage (de là une neuroscience sociale) y satisfasse ?

13. D’abord ne nous dissimulons pas l’ambiguïté du terme ‘typique’ dans la discussion ci-dessus. Dans le langage phénoménologique il fait référence à un sujet en contexte intersubjectif avec ses habitudes de vie dans l’horizon d’un Lebenswelt dont les chemins possibles sont tracés d’avance dans ses expectatives, espérances ou craintes, etc. Dans le langage des neurosciences il renvoie à des notions telles que la sélectivité des activations de cellules cérébrales par des stimuli préférentiels, au ‘liage’ ou intégration multimodalitaire des informations cognitives, à la neurodynamique des réseaux fonctionnels du cerveau, etc. La différence est d’abord une différence d’échelle : à l’échelle des neurones et groupes de neurones il n’existe rien de tel qu’un sujet percevant et agissant, rien de tel qu’une intersubjectivité communautaire ;  à l’échelle du sujet il reste vrai de dire que « Je vois avec mes yeux parce que mes yeux font partie de mon expérience corporelle, tandis que mon cerveau ne fait pas partie de mon expérience corporelle. C’est un objet de science (Ricœur) ».

14. La question est évoquée par Husserl dans un ms tardif où l’organisme comme société des cellules et comparé à la société. L’âme de la personne est incarnée dans son corps propre. En revanche, l’esprit de l’individu n’est pas plus incarné dans la société des cellules de son organisme que l’esprit du groupe ne l’est dans les nombreux corps de ses membres. Néanmoins Husserl paraît troublé par cette possibilité de concevoir l’esprit distribué sur un collectif (B I 16 (19.09.1934) p.15):

« La nouvelle science naturaliste a déposé l’esprit des personnes individuelles sur leur corps comme couche particulière de symptômes et a traité sérieusement la localisation en développant une psychologie psychophysique. Toutefois, si l’on ne peut pas rattacher la vie intersubjective d’une communauté aux corps physiques de ses participants comme “corps propre” pour un “esprit communautaire”, cela concerne aussi la communauté subjective qu’on doit attribuer à chaque organisme comme système de cellules, donc la vie subjective de l’homme qui règne dans son corps propre organique au point de vue de sa fondation dans l’organisation “sociale” des cellules, intérieurement unifiées dans son organisme en couches de fondation auxquelles correspondent les organes extérieurement distinguables ».

15. Enfin, ce dilemme n’est sans doute pas hors de portée d’une phénoménologie transcendantale qui s’est montrée capable de surmonter les limitations solipsistes de l’égologie en direction d’une intersubjectivité plus fondamentalement constituante que l’ego lui-même. Une physiologie transcendantale est théoriquement envisageable, qui remonterait aux conditions pré-empiriques somatologiques de l’expérience subjective et intersubjective de façon à ressaisir les structures anatomiques et fonctionnelles de la perception et de l’action en tant que contraintes a priori mais contingentes – parce qu’imposées par la nature – sur la constitution. La structure rétentio-protentionnelle de l’expérience subjective fonde la possibilité qu’il y ait des objets permanents pour moi et pour nous, mais elle-même requiert à son tour la possibilité d’une engrammation matérielle dans les réseaux fonctionnels du cerveau d’un individu. La nature se constitue au sein du Lebenswelt, lequel fait circulairement signe vers la nature.

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Nature et culture III – L’espace vécu et la géométrie du Lebenswelt.

1. Selon une conception traditionnelle, le débat concernant la naturalisation des sciences humaines serait extérieur à la phénoménologie. La phénoménologie n’aurait pas vocation à y prendre part à cause de son engagement dans le courant transcendantal et de l’antinaturalisme qui caractérise ce courant transcendantal. La même conception oppose l’empirisme des sciences de la nature et le transcendantalisme de la tradition philosophique de Descartes à Husserl. Une discipline comme la phénoménologie dont la tâche est de décrire l’expérience du point de vue du sujet ou de la subjectivité ne devrait jamais croiser dans sa route des disciplines comme les sciences de l’homme qui veulent emprunter aux sciences de la nature leurs procédés afin de traiter l’homme comme un objet, non comme un sujet.

2. En fait, la question de la naturalisation (de l’esprit ou de la culture), sa possibilité et sa légitimité, est une question qui se pose dans l’horizon propre de la phénoménologie. Prétendre ignorer la dimension subjective de l’homme est inacceptable. Mais il n’est pas satisfaisant non plus de soustraire la réalité humaine à l’ensemble de la nature. Un monde objectif sans sujet ou un sujet pur en dehors du monde : deux impasses dans lesquelles le phénoménologue doit veiller à ne pas s’engager. Bien sûr, sa vigilance peut être prise en défaut. En contexte, en fonction de l’interlocuteur (ou de la cible) c’est tantôt le danger de l’objectivisme, tantôt celui du subjectivisme qui paraîtra prédominant. D’où, chez les auteurs, une variété de positions:

3.
Pour Husserl le sujet n’est pas un point d’arrêt définitif. La réduction transcendantale est retour au sujet. Mais cette réduction subjective n’est que la première phase d’une méthode dont la seconde phase est la constitution transcendantale. Constituer veut dire donner un sens d’être aux entités de l’expérience subjective. Ce sens d’être sera uniquement dérivé des ressources propres du sujet. Il y a pour moi des choses objets de ma perception dans la mesure où j’ai des organes sensoriels et moteurs qui me permettent d’interagir avec ces choses. L’ensemble de ces choses liées entre elles par des liens de causalité réciproque est la Nature. Autrement dit, le seul usage de mes organes me donne accès à la Nature dans sa réalité simplement physique. Les autres caractéristiques, supra-physiques, spirituelles ou culturelles qui renvoient à l’existence d’autrui et requièrent la contribution de l’intersubjectivité à la constitution transcendantale viendront se superposer à cette strate fondamentale de Nature. (Ideen II. PhU Zur Konstitution 1912-28/1952)

4. D’après Heidegger, toute l’histoire de la métaphysique est imprégnée d’un préjugé chosiste qui fait que le sujet lui-même a été conçu par Descartes comme res cogitans. Nous ne nous débarrasserons de ce préjugé qu’en repensant l’être que je suis (ou que nous sommes) tel qu’il est dans le contexte de ses occupations quotidiennes. Rien que par le fait d’être l’étant que je suis là où je suis (Dasein) je suis toujours occupé à ceci ou à cela (sich etwas besorgen). Et si je suis maintenant à ceci, c’est pour pouvoir être ensuite à cela, et ainsi de suite. De même, si moi je suis à ceci, c’est que d’autres ont été à cela auparavant, sont à cela simultanément ou seront à cela ultérieurement. L’immersion anonyme du subjectif dans ses activités ordinaires précède la séparation du sujet et de l’objet. La possibilité de cette séparation suppose que le sujet se soit dépris de cette immersion et ait accompli une réflexion. L’erreur de Descartes est d’avoir plaqué cette réflexion tardive sur l’essence originaire de l’étant-je. Empruntant la voie cartésienne, Husserl hérite du même dualisme opposant la chose qu’est le corps de l’homme avec ses propriétés physiques et les propriétés non physiques de cette chose : l’esprit de la personne ou les valeurs spirituelles des objets de la culture. (Sein und Zeit 1927)

5. Merleau-Ponty dégage la spatialité propre au vécu corporel et au monde perçu en luttant contre les préjugés d’une psychologie classique accusée d’avoir confondu cette spatialité avec l’espace de la Nature physique. Le corps objectif dans un monde physique est un résidu de l’analyse empiriste et intellectualiste appliquée à la perception naturelle et à l’expérience du corps propre. La faute n’est pas purement épistémologique, elle est existentielle. La même substitution s’observe déjà dans la pathologie (le cas Schneider de Goldstein) où elle est l’effet d’une désintégration à la fois du schéma corporel et du monde perçu. L’unité intégrative du geste animé de l’intentionnalité motrice se dégrade en un déplacement local de proche en proche dans un espace métrique. (Phénoménologie de la Perception 1945).

6. Quels pièges nous tend la naturalisation ? Comment ne pas y tomber ? Y a-t-il une naturalisation tolérable, voire inévitable ? Dans cette querelle de la naturalisation un concept d’espace tend à s’infiltrer subrepticement. L’espace est préconçu comme espace des choses de la Nature physique selon l’équation implicite : spatial = physique. Or, le fait même de parler en termes d’espace suppose l’intervention préalable d’un acte d’organiser l’expérience vécue. Organiser consiste à imposer à une masse de soi inorganisée une structure correspondant à l’usage qu’on veut en faire. Ex. On a affaire à des ensembles finis et on se propose de les dénombrer (recensement de la population d’un pays par groupes d’âges, histogramme d’enregistrements cérébraux par site d’électrode implantée). L’opération est une application de l’ensemble de départ dans un ensemble de nombres. Sa structure générale est celle d’espace vectoriel. En se plaçant dans cette structure d’espace vectoriel on peut calculer sur des vecteurs (sur les suites de nombres, coordonnées de ces vecteurs) de la même façon qu’on calcule sur les nombres. L’espace tridimensionnel usuel (euclidien) est une particularisation de cette structure générale : un espace vectoriel dont les points ont leurs coordonnées rapportées à une base de 3 vecteurs. Aucune raison d’appeler « espace physique » cette construction de la représentation.

7. Bernhard Riemann (Über die Hypothesen, welche der Geometrie zu Grunde liegen 1854/ 1876) a introduit l’idée que l’espace n’est pas donné d’avance, mais requiert la construction du concept général de grandeur à plusieurs dimensions dans un processus de développement infini et qu’il y a donc autant d’espaces différents que d’étapes dans cette construction. La transition d’un mode de détermination (point ou élément) à un autre engendre une ‘variété unidimensionnelle’. De là la transition vers une autre variété telle que chaque point de la première projette sur un point de la seconde engendre une variété bidimensionnelle, etc. Cette pluralisation du concept d’espace nous permet d’échapper à l’alternative : espace physique ou spatialité vécue ? Il devient légitime de demander si la spatialité ‘non physique’ du corps propre et du monde perçu a un corrélat dans le mode de détermination propre à telle ou telle approche : biologie, neurophysiologie, psychologie, psychiatrie, etc. Comme ces approches reposent sur des hypothèses ou modèles d’espace et non directement sur la matière physique du monde, ces corrélations n’impliqueront pas de compromission avec le physicalisme. La naturalisation comme exigence interne à la phénoménologie pourra dès lors être réconciliée avec la naturalisation en cours des sciences humaines en sciences cognitives au sein d’un même processus de spatialisation des fondements biologiques de l’expérience vécue.

8. Wilder Penfield & Edwin Boldrey, Somatic motor and sensory representation in the cerebral cortex of man as studied by electrical stimulation, Brain (1937): stimulation préopératoire sous anesthésie locale du cortex rolandique exposé par crâniotomie ; une électrode est déplacée latéralement le long du sillon central depuis la scissure médiane jusqu’à la scissure de Sylvius ; le patient est conscient et décrit verbalement les sensations évoquées. Chaque opération donne lieu à l’établissement d’une carte spéciale, les points de réaction motrice ou sensorielle étant reportés proportionnellement sur une carte standard du cerveau humain en respectant les distances par rapport au sillon central et à la scissure de Sylvius. On a là une première cartographie fonctionnelle et non anatomique des aires somatomotrice et somatosensorielle du cerveau humain. Le caractère élémentaire des mouvements et sensations induits est imputé au caractère ponctuel des stimulations. L’homoncule qui sert à visualiser les résultats n’est pas une deuxième personne dans le cerveau. Il représente seulement la séquence des réponses motrices ou sensorielles rapportées aux différentes parties du corps :

“The sequence relationships may be illustrated by the homunculus. It is seen that toes begin at the top and the members follow in order as though representing a man hung upside down, but that thumb is followed by the head as though the head and neck were erect and not inverted. The comparatively large size of thumb, lips and tongue indicate that these members occupy comparatively long vertical segments of the Rolandic cortex. The homunculus gives a visual image of the size and sequence of cortical areas, for the size of the parts of this grotesque creature were determined not so much by the number of responses but by the apparent perpendicular extent of representation of each part when these responses were multiple for the same part.”

9. L’espace que cette carte représente est un espace fonctionnel de la motricité et de la sensorialité des sujets individuels et ne se laisse pas réduire à la structure anatomique humaine. Malgré le caractère ponctuel et passif des stimulations les sujets ont souvent éprouvé « un désir de mouvoir un membre » (intention motrice) ou encore une impression illusoire de mouvement. Des corrélats cérébraux d’états intentionnels ont pu ainsi être localisés dans cet espace fonctionnel. Depuis, la cartographie cérébrale par électrodes implantées chez le singe a permis d’établir l’existence de cartes du corps péripersonnelles, représentant l’espace environnant les organes du corps. (cf. Heidegger : Vorhandenheit – Zuhandenheit). Le groupe de G. Rizzolatti (Coding of peripersonal space in inferior premotor cortex (area F4) J Neurophysiol. 1996) a montré l’existence dans les aires frontales prémotrices de neurones à champ récepteur bimodal visuel et tactile répondant au toucher de la peau de la face, du tronc ou des bras et au rapprochement d’objets des mêmes parties du corps. Le champ récepteur visuel ne suit pas les mouvements des yeux mais reste centré sur la région adjacente au champ récepteur cutané. Il s’étend en profondeur en fonction de la vitesse à laquelle l’objet visuel se rapproche. Ces neurones ne s’activent pas en rapport à des mouvements actuels, mais ils constituent un cadre spatial pour l’organisation des mouvements de la tête et des bras. C’est un corrélat de notre sens du ‘pouvoir-faire’ du corps propre.

10. Ces cartes de la spatialité corporelle ne sont pas statiques : elles manifestent une plasticité induite par l’expérience. D’abord mise en évidence par les remodelages des cartes de la main consécutifs à l’amputation de doigts chez le singe (M. Merzenich, The J of comparative Neurol. 1984), cette plasticité s’est révélée être une engrammation des aptitudes acquises par l’apprentissage. L’habileté à la récupération de nourriture dans des trous se traduit par une augmentation de la magnitude des représentations des seuls doigts utilisés (rapport entre l’aire de représentation corticale et la taille du champ récepteur cutané). Les cartes corticales des mains des aveugles utilisateurs de l’écriture Braille ou celles des violonistes ont une extension plus importante que celles des sujets normaux. Ces modifications s’observent pour les acquisitions d’expertise dans la longue durée. Mais elles dénotent aussi chez le singe habitué à récupérer des boulettes de nourriture avec un râteau l’intention passagère de l’animal de faire usage de l’outil qu’il tient en main. Le champ récepteur bimodal visuo-tactile activé par la présentation d’une boulette de nourriture au voisinage du râteau s’allonge dans l’axe du râteau avant de se rétracter au-dessus de la main du singe (A. Iriki).

11. L’existence d’une carte cognitive (ou motrice) de l’espace environnant a pu être démontrée dans l’hippocampe du rat, mammifère dont la structure anatomique cérébrale reste voisine de celle de l’homme (O’Keefe et Nadel, The hippocampus as a cognitive map, 1978).

12. Conclusion : La preuve qu’il existe des activités cérébrales corrélatives de notre expérience de la spatialité non physique du vécu et du Lebenswelt n’est pas nécessairement un argument pour une réduction du supérieur à l’inférieur. Suivant l’hypothèse non d’un espace unique et physique, mais d’une pluralité ouverte des modes de structuration spatiale selon les différentes dimensions de l’expérience, on peut alternativement y voir une validation biologique de la phénoménologie par dégagement des bases organiques de la structure intentionnelle du Lebenswelt dans sa relation constituante avec le corps propre.

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Nature et culture IV  Le monde phénoménal : une émergence à partir de la complexité du vivant ?

1.     Un obstacle à la naturalisation est constitué par la distinction traditionnelle entre phénomène et chose en soi. Inapparente et donc négligeable pour les naturalisateurs engagés dans leur entreprise d’extension du mode de détermination des sciences physiques à tout domaine de la culture, cette différence est irréductible pour le phénoménologue. Du moins, en première approche.

2.      N’en déplaise au métaphysicien réaliste qu’est le savant, nul ne se tient sur le plan des choses en soi. La chose elle-même, telle qu’elle est dans son en soi, est toujours – à tout jamais – à distance d’hypothèses et de confirmations, à distance de paradigmes concurrents et de modèles probabilistes. Ne nous est donnée que la chose-pour-nous. Il suffit qu’une chose soit objet de considération théorique pour qu’elle s’éloigne de nous. Par delà ses apparences que nous croyons trop bien connaître, notre intérêt se porte vers ce qu’elle est en elle-même, avec l’espoir que la connaissance de son être nous donnera de surcroît celle de son apparaître.

3.      Le cerveau, par exemple : « Mon cerveau ne fait pas partie de mon expérience, dit Ricœur, c’est un objet de science. » Mais, rien qu’en disant « mon cerveau », « notre cerveau », on a déjà fait usage d’expressions de familiarité trompeuses qui tendent à accréditer l’opinion qu’il serait réellement question de moi ou de nous, habitants du monde quotidien (Lebenswelt). Du monde quotidien je fais partie, les autres font partie. Mais le cerveau est une chose qu’on trouve à l’étalage du boucher ou dans un bocal au laboratoire, en outre, depuis peu, le scanner d’imagerie fonctionnelle produit (en fausses couleurs) des images de « cerveau moyen », et même de cerveaux individuels qui sont diffusées dans les média. Toutefois, même si nous ne sommes plus très sûrs d’être « le sujet », nous n’en sommes pas encore à nous identifier à « notre cerveau ».

4.      De sorte qu’il ne convient pas de dire : « notre cerveau ». Ce qu’il faut dire, c’est « le cerveau », « le cerveau de l’homme », expressions qui réfèrent sans que cela prête à contestation à une chose déterminée au milieu de la Nature. Une chose sur laquelle les neurosciences nous en apprennent toujours davantage, mais qui demeure, et pour longtemps, encore mystérieuse. Cet objet est un des nombreux objets de considération théorique possible du monde phénoménal. Pas question d’en faire le fondement de ce monde phénoménal. Jusqu’à plus ample informé, une expression telle que « le cerveau phénoménal » est dépourvue de référent (Berthoz, « Le cerveau phénoménal a ses lois d’interprétation », La Simplexité p. 77).

5.      L’Umwelt d’un vivant (autre que le vivant que nous sommes nous-mêmes) peut à la rigueur être traité comme objet de considération théorique sur le même plan que l’organisme de ce vivant. À la condition, toutefois, que cette considération théorique les inclue l’un et l’autre dans une totalité indissociable incompatible avec l’absorption d’un terme dans l’autre, que ce soit par internalisation de l’Umwelt dans le cerveau, ou par objectivation de l’organisme comme relais des chaînes causales dans la Nature. Mais, il reste qu’avec un Umwelt comme celui de la tique (Uexküll), nous n’avons pas le rapport de familiarité que nous avons avec le Lebenswelt – il n’y a qu’un seul sol-Terre sur lequel nous prenions appui en toutes nos démarches ; les autres Umwelten ne sont à nouveau que des objets de science, comme « notre cerveau » au-dedans de nous.

6.      Est-ce que cela revient à frapper d’interdit toute recherche sur les origines naturalistes du Lebenswelt, non comme environnement d’un vivant qui n’est pas nous, mais bien en sa configuration de sens pour nous ? Pas nécessairement. Parce que si le sens n’est pas une illusion subjective – et même si c’en est une – la question de ses origines devra bien être posée, une question qui concerne la possibilité même de son émergence au sein de la Nature – et de la Culture. Mais alors, attention à ne pas transformer le sens en une simple chose (simple, car dépourvue de sens) : pour cela il suffit qu’on passe sous silence le « pour nous » du sens. C’est ce qu’on a toujours fait depuis qu’on prétend naturaliser l’intentionnalité : le corps propre (Leib) se voit ramener au corps physique (Körper), le Lebenswelt à l’Umwelt du vivant que nous sommes, l’intersubjectivité à la psychologie de l’empathie ou à la sociologie du groupe social, l’intentionnalité elle-même à une quelconque occurrence mentale précédant l’action, enfin l’acte qui révèle les potentialités en même temps qu’il les accomplit au mouvement musculaire.

7.      En revanche, ce que devrait faire comprendre la mise au jour des préconditions naturelles de la possibilité du sens pour…, c’est plutôt l’émergence des entités ayant sens d’être pour des sujets percevant et agissant au sein d’une Nature, elle-même privée de sens. Ces entités sont les choses ordinaires auxquelles nous avons quotidiennement affaire, mais que leur familiarité dépouille du mystère de leurs origines en les rendant solidaires de notre existence subjective : ma chambre, la rue ou le paysage de ma fenêtre, mon ordinateur ouvert sur la table, mes feuilles manuscrites, les auditeurs potentiels auxquels je destine ce cours, etc.

8.      Ces entités n’ont rien à voir avec les particules ni avec les flux d’énergie dont on m’affirme qu’elles sont composées sur un plan de réduction ultime dont je ne sais rien, ou à peu près. Elles appartiennent pourtant à mon monde, tandis que ni les particules ni les flux d’énergie n’en font partie. Par là on rejoindrait la préoccupation récente d’une biologie ou physiologie intégrative (Berthoz) pour comprendre comment il se fait que « nous » (les vivants humains) ne soyons pas immergés (noyés ou perdus) dans la complexité des processus et des mécanismes en jeu à tous les niveaux d’organisation du vivant que distinguent les sciences, plus spécialement les neurosciences.

9.     
La difficulté peut se formuler ainsi. En principe – si nous nous en tenons à ce que la science positive nous enseigne – le vivant humain, organisme muni d’un cerveau complexe, devrait pouvoir se laisser expliquer entièrement sur la base de la métaphore de la machine à traiter l’information cognitive (machine de Turing). Une telle explication se fera dans les termes d’un concept de neurocomputation purement automatique, aveugle ou inconscient, par des processeurs élémentaires qui sont les cellules nerveuses. Jusque là, aucune référence à une sphère de réalités d’un tout autre niveau où des choses douées de sens se manifestent à quelqu’un, et deviennent éventuellement pôles de visées intentionnelles dans un espace commun à tous.

10.    Et si des équations compliquées entre les variables dégagées par l’étude quantitative du vivant peuvent quelquefois être résolues en recourant à des procédés de simplification, procédés non moins computationnels, cela se fera sans qu’on ait besoin de renvoyer à des réalités d’un autre niveau. Qu’on effectue tous les calculs « à la main » ou qu’on invente un procédé astucieux pour s’épargner le travail, on ne quitte pas le plan de la computation. De sorte que si quelqu’un suggère d’interpréter certains de ces procédés simplificateurs de neurocomputation comme des « inventions géniales » qui ont procuré au vivant que nous sommes l’accès à un monde du sens, on pourra dire qu’il y a du nouveau en neurosciences.

11.    Du nouveau puisque, non contentes d’être simplement des sciences empiriques, c’est à un statut de sciences transcendantales qu’elles sembleront désormais prétendre. Elles auront enfin compris cette exigence absolue qu’est pour le vivant humain – comme sujet du connaître, sinon comme système naturel cognitif – celle de pouvoir prendre appui sur un plan original de manifestation, plan d’évidence pour la conscience perceptive, plan de détermination autonome pour la décision volontaire, plan d’expression ou de représentation thématique pour la réflexion théorique. Est posée par là la question de l’émergence du sein de la Nature d’une possible phénoménalité : au sortir de la forêt primitive des déterminations ontiques de l’étant, « la clairière de l’être » (Heidegger).       

12.    Par contrecoup, nous sommes conduits à une remise en question de cette idée même de phénoménalité, lieu de l’évidence et de la manifestation de toute chose pour le vivant que nous sommes. Que cela nous plaise ou pas, c’est un fait que la description du monde phénoménal ne saurait échapper à toute contamination par le savoir théorique. Et, pour ce qui concerne notre vie mentale, à toute contamination par les sciences cognitives et les neurosciences, bien ou mal assimilées. Or, ces sciences sont entrées dans un processus de progrès accéléré qui fait qu’elles multiplient les niveaux d’analyse du vivant et qu’à chaque niveau elles ouvrent sur une perspective de complexité dont on ne voit pas la fin.

13.    Ex : L’explication du comportement et de la vie mentale de l’individu dépend d’une meilleure compréhension du fonctionnement du cerveau. Le fonctionnement du cerveau dépend du fonctionnement des cellules nerveuses individuelles, en particulier les neurones, mais aussi les cellules gliales : astrocytes (cellules en forme d’étoile), etc. Le fonctionnement des neurones dépend des interactions entre les molécules : protéines, ADN (acide désoxyribonucléique), etc. au sein de la cellule et de la communication avec les autres cellules par les synapses. Les molécules dans la cellule ou dans l’intervalle entre cellules voisines dépendent des gènes et de leur expression. Les gènes sont les segments des molécules d’ADN formant comme des pelotes de fils enroulés dans le noyau des cellules.

14.    De plus, ces niveaux ne se contentent pas d’être hiérarchisés dans un ordre anatomique unique, mais il existe une intrication complexe des relations fonctionnelles entre niveaux : le comportement de l’individu n’est pas simplement l’expression passive des déterminations contenues dans ses gènes, mais chaque apprentissage, chaque acquisition d’expertise, chaque mémorisation d’une expérience nouvelle exerce sur le matériel génétique du tissu cérébral un effet en retour qu’on a pu déterminer. La traditionnelle opposition entre structure anatomique ou génétique et fonction – la première déterminant la seconde et non l’inverse – tend à être relativisée.

15.    L’impression qu’on retire de cet aperçu est très éloignée de la certitude de soi du sujet cartésien face aux représentations de son esprit. Nous sommes immergés, noyés, perdus dans un abîme de complexités et de complexités de complexités qui de tous les côtés se déploient et se stratifient à l’infini. Dans ces conditions, le danger est grand d’oublier que l’existence du Lebenswelt est primordiale pour qu’il puisse y avoir une communauté, en particulier scientifique et que cette communauté scientifique puisse intersubjectivement constituer un mode de détermination objectif des propriétés du vivant dont ressort le tableau qu’on vient de retracer.

16.    Pour parer à ce danger, une issue pourrait être de chercher à retrouver à l’aide des neurosciences la possibilité neurobiologique du Lebenswelt. La tâche est celle d’une reconstitution de l’expérience subjective et du sens qui répondrait à la constitution transcendantale. Sans doute pas en repassant par le même chemin, celui de l’évidence de la réflexion pour le penseur isolé. Mais en allant à sa rencontre à partir des couches de détermination sous-jacentes. Comment est-ce possible ?

17.    L’intuition directrice est que la biologie ne s’intéresse pas qu’aux interactions moléculaires dans la cellule, mais qu’elle comporte aussi une dimension intégrative. La perception visuelle, la motricité volontaire, la posture, le geste, la locomotion, etc. sont aussi des objets de science pour le savant en même temps que ce sont des formes signifiantes du comportement d’un vivant qui émergent au plus haut niveau d’intégration des multiples déterminations et interactions entre composantes déterminées de l’activité de ce vivant. Mais, pourquoi parmi tous les thèmes de recherche envisageables devrait-on privilégier ces formes de comportement du vivant humain, au niveau d’intégration peut-être le plus élevé ?

18.    Est-ce qu’il ne faut pas y être motivé par un secret motif philosophique ? Soyons attentifs à une ambiguïté sur la personne qui tient ce discours (le discours que je tente de ressaisir dans mon langage de philosophe) : qui parle ? Ce n’est déjà plus l’homme de la vie quotidienne et du langage ordinaire que le philosophe cherche à incarner, du moins quand il ne se prend pas pour un spécialiste, logicien ou épistémologue des sciences particulières. C’est désormais le neurophysiologiste dans sa posture subjective typique : le qaumazein en face des « solutions astucieuses que l’évolution a trouvées pour le vivant ».

19.    C’est comme instruments de la boîte à outils du « bricolage évolutionniste » (F. Jacob) que sont surdéterminées les formations de sens du vécu au sein du Lebenswelt. Le regard, la posture, le geste, la locomotion, mais aussi, le dessin, la métaphore, etc., apparaissent comme autant de découvertes sur la toile de fond des infinies complexités des problèmes posés au vivant. Dans la communauté des chercheurs en neurosciences qui se donne pour tâche de formuler ces problèmes, il va de soi que ce sont toujours essentiellement des problèmes de survie. Mais du vécu avons-nous le sentiment qu’il n’est rien d’autre que l’expression des contraintes de survie des espèces naturelles ou des gênes et de la fitness de la structure et du fonctionnement de notre organisme pour la reproduction ?    

20.    La question posée est celle-ci : une phénoménologie à rebours est-elle possible ? La phénoménologie commence par l’epoché de tout le savoir objectif. Voulant décrire ce qui se donne dans l’apparence et tel que cela se donne, le descripteur phénoménologue s’abstient de toute prise de position concernant la réalité ultime, l’ontologie des choses. Ce n’est pas le cas du savant. Lui, fait des hypothèses sur l’être-ainsi des choses ; mais il ne veut pas se contenter d’hypothèses et finit toujours par substantialiser ses entités hypothétiques comme ingrédients du monde. De sorte que le monde phénoménal qu’on aura reconstitué à partir des déterminations sous-jacentes de la vie biologique risque d’être infiltré de présupposés ontologiques et de ne représenter encore une fois qu’un placage de préjugés scientifiques sur le vécu du Lebenswelt.

21.    Si l’on tient à ce que la description du vivant dépasse la simple revue des hypothèses concurrentes en cours de validation (ou de remplacement), si l’on tient à ce que cette description puisse émettre une prétention légitime à être constitution du Lebenswelt, le sol absolu de notre expérience intersubjective, il faudra qu’elle prenne appui sur un sol au moins aussi solide. Mais quel sol ? Nécessairement, celui que lui procurera l’ontologisation des théories actuellement en usage, une opération qui implique un pari sur l’avenir des recherches en cours. On est passé subrepticement de l’hypothétique

à l’assertorique ou à l’apodictique. Autrement dit, une hypothèse favorite s’est changée en dogme. Dès le moment où les entités stables et durables de l’expérience sont interprétées comme invariants dans la variation des mouvantes complexités à tous les niveaux de détermination distingués par les neurosciences, ces entités usuelles sont relativisées par rapport à des entités d’une tout autre nature. À savoir les entités de l’ontologie spéciale à chaque sous-discipline, celles-ci étant en fin de compte tacitement absolutisées.

22.    Exemples : On sait que la plasticité cérébrale induite par l’expérience non seulement chez l’enfant, pendant la « période de latence », mais chez l’adulte, rend problématique de parler de « cartes cognitives » comme font les cartographes du cerveau. Néanmoins, comme on ne peut pas se passer de parler de quelque chose, on concédera qu’il « y a bien » des cartes corticales dans le cerveau pour l’engrammation de l’expérience sensorielle et la programmation des actions motrices.

23.  
 Les enregistrements de l’activité du cerveau se font à une grande diversité d’échelles et selon une multiplicité de dimensions : l’électroencéphalographie enregistre les variations de l’activité électrique globale, la magnétoencéphalographie les variations de l’activité magnétique globale, l’imagerie fonctionnelle par résonnance magnétique les variations locales du taux d’oxygène dans le flux sanguin cérébral. À chaque méthode son propre système de représentation dont l’ajustement à celui d’autres méthodes pose des problèmes de compatibilité qui n’ont pas de solution unique.

24.    À l’extrême opposé, les enregistrements par électrodes implantées chez l’homme ou plus couramment chez le singe enregistrent les potentiels d’action de cellules nerveuses individuelles, au mieux en plusieurs régions à la fois, mais jamais la totalité de l’activité cérébrale. Or, la reconstruction de l’activité d’ensemble à partir des activations cellulaires individuelles est matière à débat (comme la reconstruction des sources locales de l’activité corticale globale) : comment passer d’activités individuelles aux variations en grande partie aléatoires à des activités globales suffisamment stables pour pouvoir être considérées comme les corrélats cérébraux d’une perception ou d’une conduite ?

25.    La controverse s’est notamment focalisée sur l’interprétation fonctionnelle des oscillations électriques globales du cerveau : à quoi servent-elles ? Sont-elles obligatoirement la signature d’une tâche précise ? Et quand aucune tâche précise n’est imposée au sujet, est-ce qu’il y a pour autant repos cérébral ? Comme on ne peut manquer de fixer le discours en référant à quelque chose, on échappe difficilement à la solution de compromis qui consiste à référer les stabilités phénoménales du quotidien à des entifications ontologiques de savant qui ne sont que les témoins provisoires de l’état des recherches en cours. D’où, l’on affirmera que les réseaux neuronaux localisés dans les aires particulières du cerveau communiquent bien entre eux grâce aux résonnances, aux synchronies, ou aux concordances de phase des oscillations de l’activité électrique globale du cerveau.

26.    Ex. les « neurones miroir » : neurones des aires frontales du cerveau du singe à champ récepteur bimodal, visuel et moteur, qui s’activent de manière similaire lors de l’observation d’un mouvement manuel et lors de la production d’un mouvement manuel par l’animal. On a souligné à l’envi le caractère local et la portée explicative limitée de ce mécanisme miroir. On a été prévenu contre la tentation de surinterprétation dans le sens d’une prétendue « neuroscience sociale » qui court-circuiterait la sociologie et les autres sciences du social. Néanmoins, comme bases neurales de l’empathie et de l’intersubjectivité on mentionne les neurones miroir.

27.    La tentation de dogmatiser sur la base d’un savoir sédimenté qui « explique » ce dont l’homme ordinaire fait naïvement l’expérience l’emporte sur la conscience de l’ouverture permanente et du caractère hypothétique des données et des modèles théoriques. De sorte qu’en dépit de sa très relative légitimation par l’hypothèse de réduction de complexité (« la simplexité »), la réalité intersubjective – non physique – du Lebenswelt est caractérisée au bout du compte comme illusion subjective par comparaison avec la solide réalité ontologique du monde physique, dit « extérieur » : « Toutefois, s’il est clair que les sens décomposent le réel en composantes ou en attributs […], il est clair aussi que la tasse    de thé qui est posée là sur ma table existe sans moi, et que si je meurs, elle sera encore là (93). » Car, en effet, ce présupposé de l’attitude naturelle : il y a un monde   à l’extérieur et un esprit à l’intérieur est sauvegardé sans autre examen critique par le biologiste sur la base de son propre monisme ontologique, cette métaphysique de savant.

28.    Qui, en définitive, est le sujet des actes, qui est le support des propriétés mentales ou spirituelles (culturelles) ? La pluralisation et la relativisation conduisant à tout rabattre sur les configurations d’activations transitoires des réseaux neuronaux n’offre aucune alternative à la réponse consistant à dire que c’est le cerveau (ou « notre cerveau ») en nous qui fait tout ce que le sujet s’attribue (donc à tort) comme ses actes et qui supporte toutes les propriétés de la personne. Pas moyen d’arrêter un pareil collapse ontologique du niveau personnel sur un ou plusieurs niveaux infrapersonnels dans sa régression jusqu’aux molécules. Or, une molécule ne prend pas de décisions, ne conçoit pas d’intentions, ne reconnaît aucun objet de perception, n’entretient avec personne de relation intersubjective. Ce qui revient à dire que le Lebenswelt, non pas reconstruit comme un avatar de réalité virtuelle, mais en lui-même, dans son mode d’existence intersubjective propre, s’est décidément soustrait à cette entreprise de capture théorique par les neurosciences.    

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Publié dans philosophie

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